9 - Les limbes d'Emily

[via Corentin Bossuet]



« D'habitude peu enclin à critiquer sérieusement, me voilà surpris à donner un avis sur cette nouvelle surprenante (« Les limbes d’Emily »).
Bernard a le verbe joueur, précis, juste. Le tableau qu'il dresse dans "les limbes d'Emily" joue sur les contrastes: contraste des sentiments, contraste du langage, contraste des valeurs.
Le sexe lui-même dans toute sa cruauté se fait tout simplement beau. Oui, bel exercice que de parler bien du laid. Ou de parler mal du beau. Bernard nous plonge dans un univers lointain qui devient familier comme par enchantement.
Assurément, Bernard est un sacré obsédé textuel! »

VINCENT FARALDI

Avec ses sourcils droits, son nez cassé, sa bouche trop petite et ses cheveux brun filasse, Emily n’avait décidément rien pour plaire. Si n’était son air perturbé - ou ses regards humides qui semblaient sempiternellement au bord des larmes -, rien chez elle n’aurait attiré mon attention. De plus, la façon dont elle se nippait n’était pas pour éveiller un quelconque sentiment érotique. En un mot comme en cent et en d’autres circonstances, j’aurais fort bien pu me passer d’elle toute ma vie durant. Néanmoins, voilà que je me suis retrouvé dans son lit dès le premier jour où nos chemins se sont croisés. Nous n’avions même pas attendu les préliminaires d’un repas en tête-à-tête, d’une danse au corps à corps ni d’un dernier petit verre chez elle.

C’était un vendredi. Je ne suis pas près de l’oublier. D’ordinaire, au boulot, la réunion du secteur ne se terminait pas avant seize heures, dix-huit parfois, mais les congés-maladie de pas moins de quatre d’entre-nous (et non des moindres) nous avaient fait abréger considérablement l’ordre du jour. Si bien que notre travail s’était terminé bien plus tôt que d’habitude, à midi pour tout dire.

Délacer ses gros bottillons vernis et lui ôter son pull de laine épaisse ne m’avaient guère plus émoustillé que lorsqu’elle avait enlevé son lourd manteau mité d’un geste las et désolé. De fait, sous sa longue jupe droite, elle portait de hautes chaussettes grises et sa chemisette boutonnée jusqu’au cou laissait présager qu’elle n’avait pas beaucoup de poitrine. Aussi, quand nous nous sommes allongés, tous deux en sous-vêtements, j’ai longuement regardé sa culotte flottante et son soutien-gorge taille S en me demandant ce que je faisais là, appuyé sur un coude, le sexe sans émotion et la main gauche posée sur l’une de ses cuisses comme par inadvertance.

Ce fut elle qui dut me prendre le visage entre ses deux mains pour l’approcher du sien et poser mes lèvres contre les siennes. Sa langue avait desserré mes dents de force et s’infiltrait déjà loin dans ma bouche tandis que mes doigts confirmaient que la jeune femme était froide, « comme la mort » ai-je pensé sur le moment sans trop savoir pourquoi.



Emily (je venais d’apprendre son prénom, fort joli au demeurant), Emily me suçotait, me léchait, me mordillait avec fougue et persévérance, je dois l’admettre. A cette allure-là, j’allais bientôt être dévoré, et cette fois, ce n’était pas à l’amante mais à une mante que je faisais allusion.

Tant qu’à faire, j’avais évacué mes craintes sous sa ferveur, disons que ça me plaisait plutôt d’être bousculé. Aussi ai-je peu à peu répondu à son ardeur, les yeux clos, d’une vigueur apparemment bien peu spontanée pour l’occasion. Son acharnement ne me transportait qu’à moitié, et sans doute était-ce dû à son impatience. En effet, ses doigts glacés venaient de quitter mes joues pour me balayer le torse et le ventre, se glisser sous l’élastique de mon slip et titiller mon sexe mort à petits coups d’ongles délicats.

Rétrospectivement, je bénis encore sa dextérité à réveiller mes sens. Sinon, j’aurais bien été fichu de m’enfuir sur le champ et, comme on le comprendra plus loin, de signer là mon propre hallali sans espoir de rémission. Jusqu’à nouvel ordre, Emily m’aurait été un parfait alibi ! Finalement, nous nous sommes quittés sur un échange ridicule de numéros de portables, mais rien ne m’assurait que le sien fût un ticket pour le futur.



A vrai dire, j’étais lessivé quand je suis rentré à la maison ce soir-là. Emily et moi avions fait autant de fois l’amour qu’il le fallait pour faire le tour de la question. J’avais eu le temps d’apprécier ses genoux cagneux sous les miens, ses seins minuscules mais hautement dardés entre mes lèvres, ses fesses maigres agitées par mes violents coups de reins et, par dessus-tout, ses cris rauques et désespérés lorsque nous atteignions l’orgasme ensemble.

« Ca va, toi ? », s’inquiéta ma femme en me voyant débouler dans la cuisine comme un mort-vivant. Je la scrutai longuement avec inquiétude et elle me répondit par un air lourd de soupçon. Une douche prise à la hâte avait-elle suffi pour gommer l’odeur enivrante de cet après midi ?

Heidi demeurait cependant tendre et gentille mais sa voix restait flottante, comme si elle avait tout autre chose à me dire que « Ca va, tu es sûr ? », en me servant un porto, « Tu as tout l’air d’être tombé dans le canal, tu sais ! ». J’avais opiné du bonnet car ce que j’avais vécu avec Emily y ressemblait drôlement.

Quel sort cette fille m’avait-elle donc jeté pour que je plonge tête baissée dans son piège ? Le comble était que, d’aucune façon, je ne me sentais coupable. Emily savait y faire, je m’étais régalé plusieurs fois sans vergogne et s’il fallait quelque regret, ce serait bien celui de ne jamais recommencer.

Pourtant, Emily n’avait rien pour elle. En revanche, Heidi était une superbe jeune femme, tout comme d’ailleurs Ada, sa jumelle. Les deux jeunes filles blondes, on peut l’imaginer, avaient eu l’art de ravager mes rêveries d’adolescent et, si je n’en ai finalement épousé qu’une, c’est que l’autre s’était déjà mariée avec un stupide chauffeur de taxi, un type tête et idées au carré, dont j’ai dû me farcir ensuite l’humour insane lors de trop fréquents repas de famille. A table, Heidi appréciait singulièrement la gouaille de l’imbécile, mais cela nous permettait, sa femme et moi, d’entretenir en toute convenance des rapports un peu plus personnels. Dans un sens, que Heidi fût de la même facture que notre beau-frère commun arrangeait plutôt bien mes fantasmes du passé.



Je m’attardai sur son beau visage auréolé de magnifiques cheveux blonds. Heidi ressemblait à un ange mais, comme on le sait, les anges n’ont pas de sexe. J’ai avalé mon verre d’un coup sec pour éviter de lui rappeler que le porto ne sera jamais ma tasse de thé. « Je crois que j’ai besoin d’une bonne douche… », dis-je en lui frôlant le bout du nez d’un doigt distrait. « Tu sais… », répondit-elle, comme si elle allait entamer un long discours mais, à mon regard inquiet, elle s’interrompit, ce qui n’était pas dans ses habitudes. « … Non, rien… Va prendre ta douche... », sembla-t-elle conclure.



Nous étions décidément deux couples bien mal assortis.

Combien de fois ne m’est-il pas arrivé d’imaginer que Ada et moi-même aurions pu divorcer chacun de notre côté pour filer ensuite le parfait amour. Plus simple encore : pourquoi ne jetterions-nous pas nos époux respectifs dans les bras l’un de l’autre pour qu’ils deviennent amants ?   

Bien entendu, je pense que nous étions tous quatre trop fidèles, trop figés, trop traditionnels pour envisager un tel dénouement.



Le repas – par ailleurs moins fin que qu’à l’ordinaire – s’était déroulé dans un silence glacial que j’interprétai comme une condamnation muette de sa part. Emily m’avait fameusement ouvert l’appétit et je terminais déjà mon assiette que Heidi avait à peine entamé la sienne. « Je n’ai pas très faim ! », fit-elle en la repoussant devant elle avec embarras. Ce n’était pas son genre, sans doute couvait-elle quelque chose dont elle n’osait me parler. Je scrutai les expressions de son visage pour y déceler quelque indice, mais déjà elle se levait pour remplir le lave-vaisselle. Ses fesses m’affriolaient, comme toujours, surtout quand elle se dandinait en marchant. L’envie me prit de vérifier si Heidi était toujours une aussi piètre partenaire, elle qui supportait en général mon désir par devoir et mes orgasmes avec compassion. En réalité, je me demandais si la sensualité débordante d’Emily m’avait procuré une énergie nouvelle que je pourrais insuffler à mon épouse.



Nous étions vautrés sur le divan du salon, comme chaque soir, devant la télévision, moi, nu sous ma robe de chambre et elle en pyjama. Souvent, en m’agitant d’une main sur la boite de télécommande, je lui caressais machinalement de l’autre un genou, parfois la cuisse, rarement plus, tout simplement parce que, arrivé à ce stade, Heidi poussait un long soupir et s’étendait à mes côtés, me murmurant d’une voix morne et soumise : « Ca va, vas-y, tu peux me le faire, ce câlin ! ». Rien de tel évidemment pour affadir l’atmosphère, mais je n’allais tout de même pas faire le difficile : une femme splendide – et la mienne de surcroît ! – m’offrait docilement son intimité et supporterait mon étreinte jusqu’au bout.



Néanmoins, pour moi, il y avait déjà un avant Emily et un après Emily. Je me doutais bien qu’un coït vite fait bien fait ne pourrait plus me satisfaire.

Aussi demeurai-je un long moment à m’escrimer sagement avec la télécommande, dans une profonde expectative. Heidi avait la tête ailleurs, tout simplement. Je me devais de l’étonner, me disais-je intérieurement, je devais la faire profiter de l’expérience inoubliable que m’avait procuré mon aventure de cette après-midi.

Ce fut exactement l’inverse qui se produisit mais pas l’inverse auquel je m’attendais.



En effet, Heidi avait peut-être bu plus que de raison ou bien c’était de moi qu’émanait un je ne sais quoi d’inhabituel, toujours fut-il qu’elle s’était subitement penchée vers moi pour m’embrasser avec fougue et glisser sur le champ une main entre les pans de mon peignoir. Stupéfait, je lâchai la télécommande en répondant à son surprenant baiser. Heidi ne ménageait décidément pas ses effets et je me laissai tripoter religieusement. Ses seins, gonflés sous le pyjama, palpitaient dans ma paume tremblante ; je suffoquais de désir, la verge généreusement dressée dans l’anneau de ses doigts. Le visage ingrat d’Emily s’imposa à mon esprit. « Est-ce que vous voulez coucher avec moi ? », m’avait-elle glissé dans l’oreille en passant derrière ma chaise. Je l’avais vaguement observée lorsqu’elle avait gagné les toilettes du snack.

Comment était-il possible qu’une fille aussi laide s’attifât aussi mochement ?, m’étais-je d’ailleurs dit en aparté. « Pardon ? », avais-je grincé en me détournant avec regret de l’excellente tomate aux crevettes que je venais d’entamer, non sans avoir jeter un regard aux alentours. Personne, dans ce resto de bord de route, ne faisait attention à nous. Elle m’avait souri avec un regard suggestif. « Ne faites pas semblant de ne pas avoir entendu ! », avait-elle ajouté en posant ingénument une main sur mon épaule.  Je ne sais trop pourquoi j’avais hoché la tête en diagonale, ce qui autorisait bien entendu toutes les interprétations. « Réglez votre note ! Je vous attends dehors ! », avait-elle encore ordonné d’un ton qui ne semblait souffrir aucun commentaire. Je contemplai mon assiette à moitié pleine ; de toute manière, en cette fin de semaine, je pouvais me permettre un après-midi sabbatique.



Heidi m’acheva d’un mouvement coulissant du poignet, avec une adresse inouïe que je ne lui connaissais décidément pas. J’éjaculai sur mon propre nombril et grognai de plaisir. « A mon tour ! », fit-elle d’un air égrillard, en reculant d’un bond et baissant sa culotte de pyjama jusqu’aux chevilles. 

Depuis dix-sept mois que nous étions mariés, je n’avais jamais aperçu cette petite tache brune au creux de son aisselle gauche mais il est vrai que je ne l’avais jamais autant étudiée que ce soir-là, tant le contraste avec Emily pouvait être saisissant. Les formes chaudes et pleines d’Heidi me procuraient un plaisir si intense, visuel d’abord, si tactile et charnel ensuite, que je l’abrégeais d’ordinaire par une rapide éjaculation, ce qui valait finalement mieux pour elle car, sitôt faite ma petite affaire, je savais qu’elle se réfugierait dans la salle-de-bains en soupirant, non pas de satisfaction mais de soulagement. Quant à moi, disons que j’assurais ainsi une hygiène sexuelle légitime.



Ce ne fut pas le cas aujourd’hui : Heidi connut bien avant moi une dizaine d’orgasmes consécutifs, en hululant comme jamais, si aigu et si fort que j’avais la sensation de retrouver la gourmandise d’Emily. Tant et si bien que, au comble de l’excitation, je ne pus m’empêcher de psalmodier son prénom, comme toute l’après-midi durant. Quand nous sommes enfin revenus sur terre, ma femme pleurnichait doucement, dans un silence accusateur. J’essuyai un long moment de solitude, morfondu, démuni et honteux, bref, incapable de réparer ma gaffe.   

« Pardonne-moi, Heidi ! », bégayai-je seulement, assis, les bras croisés, en rajustant idiotement les pans de mon peignoir. Elle me lança un regard noir, annonciateur de tempête. Je réitérai mon excuse, bien bêtement. « Im-bé-ci-le ! », hoqueta-t-elle, l’œil hagard, « Je-ne-suis-pas-Heidi ! ».

La foudre me tomba dessus sans crier gare. « Ada ? », prononçai-je sans trop y croire.



En définitive, nous nous étions menti l’un à l’autre. Il fallait à présent en arriver aux explications. Sur le moment, je ne songeai pas à son subterfuge. Où était donc Heidi ?

Je me sentais en sécurité avec Ada. Lui résumer mon incartade avec Emily, en éludant toutefois les fioritures, me fut des plus faciles. Elle m’écouta sans m’écouter : apparemment, je n’étais pas seul à avoir un secret. 

De fait, Ada avait à m’expliquer l’improbable, à savoir que ma propre femme nous trompait tous les deux avec son salaud de mari et ce n’était de toute évidence pas depuis le jour même.

Apprendre la trahison de la femme que j’aimais me fit passer du statut de cocu à celui d’homme trompé, berné, leurré. C’était déjà plus supportable mais aucun des deux termes n’allait me satisfaire. En l’occurrence, lorsque j’envisageais leur liaison pour pouvoir me rapprocher d’Ada, j’étais évidemment loin de penser que ce fût réellement le cas. Tant et bien qu’à présent, je ne tenais pas particulièrement à entendre comment ma belle-soeur avait découvert le pot aux roses. A vrai dire, elle ne me laissa pas le choix et ne m’avait épargné aucun détail. Bref, c’était une histoire d’adultère bien commune, même si j’avais un peu difficile d’imaginer Heidi se laissant vulgairement tringler sur la banquette arrière d’un taxi.

A vrai dire, il m’était encore plus difficile de m’imaginer Ada avec un revolver fumant au bout du poing. « Quatre balles ? Tu as bien dit quatre ? », répétai-je comme pour réfléchir à un vulgaire problème de calcul. J’ai alors pris l’arme en main d’un air dubitatif.

« Des témoins ? », questionnais-je à voix haute, plus à moi qu’à elle finalement. Je considérais surtout que j’avais une meurtrière en face de moi et que, comme un imbécile, j’avais l’arme du crime se régalant de mes empreintes. Ada secoua négativement la tête. C’est vrai qu’ils habitaient une maison à l’arrière de la route. Elle avait peut-être raison. Il fallait qu’elle ait raison.

Ses lèvres se mirent à trembloter. « Justement ! », répondit-elle, « Le taxi de mon mari est toujours garé devant chez nous… ». Que voulait-elle donc que je comprenne à mots couverts ? Que j’étais devenu bon gré mal gré son complice ?



Je me levai et fourrai mes poings dans les poches afin de réfléchir calmement à la situation. Ada s’était recroquevillée sur le divan comme si j’allais la menotter et l’emmener au commissariat. Un long silence, durant lequel mon cerveau carburait à toute allure, sembla nous remettre enfin sur pieds. J’en étais arrivé à une conclusion. « A quelle heure ça s’est passé, Ada ? », fis-je sur un ton clinique. Elle hésita, bredouillant qu’elle ne savait plus avec exactitude, quatorze heures ? Quinze heures peut-être ? Je poussai un soupir de soulagement et eut une pensée émue pour Emily. Elle témoignerait sans doute volontiers qu’elle ne m’avait pas quitté de treize à dix-sept heures, et pour cause.

« Tu sais, j’ai pris le sac d’Heidi et j’ai jeté le mien sur le siège avant… »,  ajouta Ada d’une voix faible, « Nous… ».

« Nous : quoi, Ada ? », vociférai-je en préférant soupçonner un instant une sombre machination de sa part et que, dans la foulée, Heidi ne m’avait en fait jamais trompé.

Elle éclata en pleurs comme si elle lisait à travers moi. « Non ! Non ! », geignait-elle en se racrapotant davantage contre l’accoudoir. Je la contemplai avec cynisme.



En définitive, je n’y perdais pas au change. Ma belle-soeur était aussi jolie que ne l’avait été Heidi et ce que nous venions de vivre le quart d’heure précédent, Ada et moi, laissait présumer bien d’autres moments inoubliables. De plus, quoiqu’il arrivât, j’avais un alibi en béton. Nous attendrions le lendemain pour … « Viens ! Allons-nous coucher… normalement ! », lui conseillai-je en lui tendant une main bienveillante. En vérité, je me sentais à présent le droit de la soumettre à mes quatre volontés, dont l’une était de revoir Emily quand il me semblait bon. Inutile de préciser que j’usai et abusai de mes droits jusqu’au mitan de la nuit.

De fait, il était deux heures vingt-six du matin précisément lorsque nous avons arrêtés nos libations. Nous étions tous deux à court de souffle et trempés de sueur jusqu’aux orteils. En douze heures, je n’avais jamais autant joui de toute ma vie. Ada comme Emily savaient y faire et se laisser faire quand il le fallait. Aussi me laissai-je tranquillement bercer par des songes béats et niais… où Heidi n’avait déjà plus sa place.



Soudain, une angoisse inexprimable m’avait incité à me lever pour boire une lampée d’alcool et tenter ainsi de me rasséréner. Sur le réfrigérateur, le téléphone sagement posé près de mon portefeuille me narguait.

Une voix ensommeillée me répondit. C’était, comme je l’avais présumé, une voix d’homme. « Excusez-moi ! J’ai dû faire une erreur ! », dis-je avec une mine effarée qui ne se devinait sans doute pas à distance. De deux choses l’une, ou bien je venais de tomber sur son mari, ou bien Emily m’avait fourgué un numéro quelconque. En résultat, je venais de saisir que la garce n’envisagerait vraisemblablement jamais de témoigner en ma faveur. Pire même : à supposer qu’elle le fasse de son plein gré, je comprenais aussi que cela n’aurait fait que m’accabler davantage. Emily représentait un mobile trop parfait car, franchement, qui irait imaginer qu’une femme fragile comme Ada fût l’assassin ?

Je me doutais à présent que je serais incapable de fermer l’œil de la nuit, tandis que, dans la chambre, Ada dormait paisiblement du sommeil du juste. Je reluquai longuement dans l’obscurité les formes parfaites de ses seins, de ses hanches, de ses cuisses. Je me penchai finalement sur elle en me jurant de battre mon propre record d’endurance tant qu’il en était encore temps.



Vers six heures, la sonnette tinta violemment à la porte.

Je sortais d’une nuit blanche, le teint sans doute blafard et le regard épuisé. Le flingue reposait encore sur la table du salon, avec mes saloperies d’empreintes, Ada dans mon lit, et moi, dans mes petites pantoufles.

« Monsieur Bossuet, Corentin Bossuet ? », me questionna l’un des policiers, l’air accablé et annonciateur de mauvaises nouvelles.

J’avais envie de nier l’évidence, mais ils n’avaient pas des têtes à apprécier la galéjade. « Dites-moi, Monsieur Bossuet, avez-vous vu votre belle-sœur ces derniers temps ? », m’acheva l’autre en tricotant sa moustache.



FIN

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