5 - Le retour du retard

 [via Bertrand Caudron]





Cela faisait maintenant près de trois heures que Blanche ne nous avait pas donné le moindre signe de vie ! Durant cette attente pénible et inutile, Papa, lui, ne m’avait été d’aucun soutien tandis que je rongeais désespérément mon frein. Bien au contraire, il ne cessait de me seriner dans les oreilles que : « Eh oui, fils, c’est la vie ! Un jour ou l’autre, elles nous trompent ! ». A la douzième ou treizième fois, je me suis enfin décidé à réagir, comme vous pouvez bien l’imaginer.



Résumons, voulez-vous ? Donc, ce matin, Blanche s’était levée en retard, aux alentours de six heures et des, et, pour ne pas rater le train de sept heures douze, elle avait quadruplé de vitesse pour s’habiller. C’est à peine si elle s’était coiffée et maquillée. Je lui en avais d’ailleurs fait la remarque dans l’escalier. Je me souviens que je baillais tout en parlant et qu’elle m’avait dit « Quoi ? », sans attendre véritablement une réponse. C’est d’ailleurs le dernier mot que j’ai entendu de sa bouche, pas le plus petit au revoir ou un à tantôt, rien.



La porte avait claqué et tremblé derrière elle comme un coup de fusil. Je l’avais rappelée par la fenêtre : « Blanche ? ». Elle s’était vaguement retournée sans freiner le pas. « Blanche ? Tu es ma femme, ne l’oublie pas ! », ai-je crié avec une main en porte-voix et j’avoue que je pensais avec horreur qu’un jour elle l’oublierait. Elle, elle m’avait juste adressé un petit signe de la main, ponctué d’un bref sourire, puis avait aussitôt repris sa course. Tant de froideur de sa part, Papa me l’avait déjà fait remarquer de nombreuses fois.

Je la regardai disparaître au bout du chemin avec un peu d’amertume. Nous n’avions pas eu le temps de nous expliquer à propos de notre dispute d’hier soir. Certes, je reconnaissais mes torts. Il est vrai que Papa m’avait appris tout jeune de me méfier de tout le monde et tout aussi vrai que j’ai tendance à interpréter le moindre regard de Blanche envers d’autres hommes comme une œillade complice. Pourtant, je savais pertinemment qu’il ne s’était jamais rien passé entre elle et Xavier, le fils du Docteur Lelieux. D’ailleurs, le mois dernier, celui-ci s’était fiancé avec Francine, la fille du notaire, un peu sur le tard, il est vrai. Ces gens-là ne se jettent pas sur n’importe qui et ils sortent rarement de leur milieu, c’est bien connu. Pourquoi Xavier se serait-il donc abaissé à faire les yeux doux à Blanche, la fille d’un ouvrier ? Qui plus est, Xavier et moi avions été bon copains, tout au moins à l’école primaire. Je pouvais être sûr qu’il ne me ferait pas ce coup-là, celui de me souffler ma femme sous mes propres yeux. Mais je ne pouvais quand même pas m’empêcher d’être inquiet : si ce n’était pas Xavier, ça pourrait bien être un autre. Car Blanche avait de fameux atouts. Depuis ses dix ans, je ne vous dis pas, nul dans le village n’avait économisé les éloges à son égard et aucune fille à dix kilomètres à la ronde ne lui arrivait à la cheville - qu’elle avait par ailleurs très fines comme des flûtes de champagne.

Blonde comme un soleil matinal, des seins et des fesses comme dans les magazines, un visage à faire pâlir de jalousie les plus belles filles de la ville et - mais cela, ça ne regarde que moi - une peau de pêche, un corps à débaucher un moine et une fameuse ardeur sous les draps. Tout cela, c’est Blanche !

Pour dire, il ne se passait pas un jour sans que je me demande pourquoi le ciel m’avait béni en me la fourguant dans les bras. Il est vrai que je suis plutôt du genre costaud, pas trop moche au demeurant. Sans compter que le ferme de mon père nous rapporte davantage que la plupart des fermiers voisins, et d’autant plus depuis que nous venons d’y aménager des chambres d’hôtes pour compléter nos revenus.

De plus, même si Papa pense le contraire, je suis plutôt doux, prévenant, moins exigeant que lui pour ce qui est de l’entretien de la maison et des repas, et surtout, surtout, ma jalousie maladive signifie plutôt que je suis très amoureux.  



Pour dire, avant notre mariage, et durant toute notre année de fiançailles, je n’ai jamais fait montre de jalousie, même si mes craintes me rongeaient matin, midi et soir. Je suis un inquiet, comme dit Papa, un anxieux. Certes je me faisais du cinéma, mais je n’en disais mot. Je n’en pensais pas moins, Papa le sait pertinemment, mais je me taisais. Mes soupçons, je ne les ai mis sur la table que par la suite, à cause de ce type, un soi-disant journaliste d’une trentaine d’années qui, l’an dernier, était venu passer un séjour d’une semaine entre Noël et Nouvel-An.



C’était un bonhomme très bien mis, très poli du reste – trop poli ! – et qui ne connaissait certainement pas de difficulté d’argent. De fait, papa lui avait demandé le prix fort pour la pension complète et le gars avait réglé d’avance, sans même reprendre sa monnaie. J’ai vite compris pourquoi quand, le jour même, je l’ai vu reluquer ma Blanche en train de nettoyer le carrelage de l’entrée. « Je vous ai à l’œil, mes gaillards ! », que je me suis dit sur le champ et, le soir même, j’ai dû lui mettre les points sur les « i ».

Elle, elle a bien essayé de rigoler de ma colère, comme si ce Monsieur Dupuis ne lui faisait ni chaud ni froid, mais, moi, j’étais assez futé pour ne pas me laisser avoir par son air angélique. Je voyais bien que les roucoulades du type en question ne la laissaient pas indifférente.

Il fallait, sûr, que je leur montre qui était le maître de maison, comme aurait dit Papa. Donc, ce soir-là, j’ai écarté les cuisses de Blanche et y ai mis le paquet pour la faire hurler de plaisir. Lui, il allait en avoir plein les oreilles. Franchement, c’était à croire que la situation m’excitait vachement car je l’avais gratifiée d’une triple dose de sève et de vigueur, comme Arsène, notre meilleur taureau.  

Par ailleurs, me disais-je en aparté, un bonhomme qui passe le réveillon de nouvel an seul dans sa chambre ne doit pas être très clair dans sa tête.

De fait, voilà : comme toujours, Pierrot et Jeannette organisèrent le bal de fin d’année dans l’arrière-salle de leur café. Nous n’étions qu’une petite trentaine à nous y rendre. La plupart avaient déjà passé toute l’après-midi dans le bistrot, autant dire que beaucoup étaient déjà solidement entamés quand ils ont traversé la salle du café pour rejoindre la salle des fêtes.

Côté musique, la vieille sono de Pierrot s’essoufflait à force de respirer la poussière de ses sempiternels quarante-cinq tours. Mais on n’avait guère le choix si on ne voulait pas passer le réveillon devant la tévé avec une tête à enterrer l’année plutôt que de fêter l’an nouveau. Blanche, elle, avec sa sollicitude coutumière, avait insisté – un peu trop à mon goût – pour que « Môssieur Dupuis » nous accompagne. Heureusement, il avait refusé avec fermeté. Personnellement, je n’aurais pas facilement supporté qu’il invitât Blanche à danser sur l’un des mes airs favoris, et moins encore sur « Tombe la neige », que Pierrot m’avait promis de faire tourner deux ou trois fois car il savait qu’Adamo avait béni sans le savoir notre premier baiser de fiançailles.

Papa, lui, était très joyeux ce soir-là. C’était la première fois que je le voyais guilleret depuis la mort de maman, bien davantage même que lors du dîner de mon mariage il y aura bientôt deux ans.

Il faut dire qu’il avait déjà éclusé une bouteille ou deux de vin avant, pendant et après le repas du midi.

Avec mon père, ce soir, pour peu qu’elle eût fini son deuil, la veuve Vanderlinden n’aurait qu’à bien se tenir, me disais-je avec une pensée pour feu Charles qui, lui, n’avait laissé à sa femme qu’une casquette de cantonnier pour seul et unique héritage. Depuis, cette bonne femme vivotait discrètement avec sa petite pension et, finalement, le noir lui allait plutôt bien, accentuant à ravir le roux de ses longs cheveux ondulés et son teint pâle.

Comprenons, elle n’avait tout de même que trente-neuf ans et, sans rire, je l’aurais bien vue dans le lit de Papa car, après quinze mois d’abstinence quant à elle, et lui près de cinq ans, pour sûr qu’ils auraient pas mal de choses à rattraper. Moi-même, s’il m’arrivait d’être veuf ou divorcé, je me serais volontiers laissé aller à lorgner sous ses jupes. Les rousses, paraît-il, ont toutes un fameux tempérament.


Mais voilà : Lisbeth ne vint pas non plus à ce réveillon.

Pour consoler mon vieux, je le laissai virevolter à plusieurs reprises avec Blanche sur la piste de danse.

Maintenant que j’y pense, c’est louche quand même qu’elle se soit évaporée ensuite pendant plus d’une heure, soi-disant parce qu’elle avait fait un accroc à sa robe. Il ne fallait tout de même pas autant de temps pour rentrer à la maison, que je sache, pour se changer et revenir.

Sur le moment, je dois dire que je n’avais pas tout de suite fait attention à l’heure. Il faut dire que, dans les bras de Francine, la future de Xavier, les minutes filent comme des comètes, surtout les slows. Et je suis très bon pour ça aussi.

Au bout de trois tours de piste, j’ai attendu ma femme en cherchant Papa du bout des yeux. Le bougre devait sans doute vomir dans les toilettes, avec tout ce qu’il avait sifflé depuis que nous étions arrivés.

Aujourd’hui encore, je me demande quand même si Blanche n’a pas été ce jour-là faire un petit stage dans la chambre du journaliste.



« Tu crois qu’elle a eu un accident ? », me rongeai-je en espérant que mon père allait me rassurer.

Que du contraire : « … Ta femme, à mon avis, elle s’est tirée avec le journaleux ! », qu’il a dit avec son ton caustique habituel.

J’ai terminé mon assiette sans grand appétit. Il faut avouer que les pâtes à la sauce tomate, cuites en désespoir de cause par mon paternel aux alentours de vingt et une heure, formaient une purée informe sous la sauce toute faite de chez l’épicier. J’eus une pensée ridicule. Si Blanche ne rentrait pas, ni aujourd’hui, ni jamais, ce serait de nouveau à moi à préparer nos repas quotidiens. Tiens, est-ce que la veuve Machin savait bien cuisiner ? me suis-je alors demandé.



L’heure avançait vite, comme à son ordinaire.« Où peut-elle être, bon sang ? », m’écriai-je en jetant nos deux misérables assiettes vides dans l’évier. Il était près de dix heures trente. Papa nous resservit tranquillement un verre de vin. Finalement, ni l’un ni l’autre n’étions inquiet de son retard, mais bien plutôt esseulés et furieux. C’est vrai, ça ! Qu’est-ce qu’elle pourra bien nous inventer comme excuse à son retour ?

« Téléphone-lui ! », suggéra mon père en éclusant son verre avant de s’en servir un autre. « Au magasin ? Ca fait près de trois heures qu’il a fermé ses portes ! », jérémiai-je en me laissant retomber sur ma chaise. Mais je compris ce qu’il voulait dire quand il a écrit un nom et un numéro sur le bord de son journal. Je m’étonnai qu’il le sût de mémoire. 

« Monsieur Dupuis ? Monsieur Herman Dupuis ? », dis-je dès que ce dernier décrocha son combiné. « Je suis désolé de vous déranger à une heure pareille… (…) Oui, Bertrand Caudron à l’appareil… Vous avez loué une chambre d’hôte chez nous entre les deux réveillons… (…) J’ai en fait un petit problème… Ma femme n’est pas encore rentrée ce soir et je me demandais… (…) Non, non ! N’allez pas imaginer que… (…) Mais non… Je…».

Il mentait mal. Sinon, il ne m’aurait pas raccroché au nez de la sorte, n’est-ce pas ? A coup sûr, je les avais dérangés en pleine – alors là, je n’ai pas de mot - et, à présent, ils étaient en train de se poser mille questions, entre autre à propos de mes pressentiments ou peut-être pour essayer de comprendre comment j’avais obtenu son numéro.

« Désolé, fils ! Je suis désolé ! », fit papa d’un air navré. En fait de flair, il en avait un fameux, mon père, pour déceler quelque chose qui cloche.

« Et son adresse, tu connais son adresse ? », demandai-je sans trop y croire. Mon paternel hocha affirmativement le menton en prenant ses gants de conduite dans le tiroir. Moi non plus, je n’aimais pas conduire à mains nues sur le volant. Je les enfilai cérémonieusement et, même si cela ne se faisait pas trop dans la famille, j’avais une furieuse envie de l’embrasser.



Quand je suis passé devant le magasin où Blanche travaille comme caissière pour arrondir nos fins de mois, il était près de minuit. Moi, je montais rarement en ville, sinon pour aller au cinéma, une fois l’an à tout casser. Heureusement, j’avais un plan de la ville quelque part dans le vide-poches, un plan qui datait d’au moins vingt ans, du temps où papa s’y rendait pour y quémander ses crédits agricoles.

Le journaliste habitait apparemment un nouveau quartier car le nom de sa rue n’y était même pas encore recensé.

Je m’arrêtai devant l’une de ces boutiques qui ouvrent tard. C’était bien une idée de citadin, ça, de faire ses courses pendant la nuit. Le gars derrière le comptoir regarda mes gants comme si j’allais lui demander le contenu de sa caisse. Et, tout en me tendant de ses doigts graisseux le paquet de cigarettes et le briquet que je lui avais commandé par politesse, m’expliqua de dessous son nez courbé, pas très belge du reste, le chemin, sans aucune aménité et dans un français épouvantable. Quoi ? Devais-je lui acheter toute sa réserve pour obtenir le moindre renseignement sur un ton quelque peu plus affable ?



Vous savez, je fume très rarement mais je sais que mon paternel appréciait tout comme moi une cigarette de temps en temps. J’abandonnai la monnaie exacte, pas un cent de plus, sur le comptoir crasseux, puis rejoignis ma voiture avec une sérieuse envie de lui casser la vitrine, ou autre chose.



Je garai la voiture devant le numéro 35, je vais dire : la rage au ventre et le cœur au pilori. 

Selon les boutons de sonnettes, un Herman Dupuis habitait au second étage. Ce serait un fameux hasard qu’il eût un homonyme dans le même immeuble. Je me reculai sur le bord du trottoir et relevai la tête. Ses fenêtres étaient encore illuminées : les salopards étaient sûrement encore en train de forniquer comme des bêtes en se moquant de ma crédulité.

Sans réfléchir, je m’acharnai sur le bouton-pressoir, même que la couture du pouce de mon gant s’y coinça idiotement. « Oui ? », entendis-je enfin dans le parlophone. « Bertrand Caudron ! », hurlai-je en postillonnant sur la vitre du hall d’entrée. Il marqua un moment d’hésitation mais l’ouvre-porte se mit soudain à grésiller. Je ne m’y attendais guère, à vrai dire. « C’est ce type qui est persuadé que je suis avec sa femme ! », crus-je percevoir dans un lointain blabla étouffé.

J’avoue : jamais je n’ai grimpé deux étages avec une telle vélocité.



Ainsi, j’arrivai à sa porte, essoufflé. Ce connard m’y attendait, en robe de chambre, un sourire au coin des lèvres, un sale sourire sardonique. Je le bousculai d’un coup d’épaule et pénétrai dans son corridor en braillant le nom de ma femme.

L’appartement n’était pas grand. Je tombai sur le champ sur ce qui devait être sa chambre, leur chambre.

« Bertrand ? » s’étonna la rouquine nue dans le lit.

Je grimaçai, avec l’atroce sentiment d’être stupide.

« Bonsoir, Bertrand, que se passe-t-il, dites-moi ? », s’interrogea Lisbeth, à moitié redressée sur ses coussins et ramenant pudiquement le drap sur ses seins.

J’avais néanmoins eu le temps de la voir, la veuve Vanderlinden, toute nue, toute éblouissante dans sa peau pâle et sa magnifique mousse rousse entre les cuisses.

Je me suis retourné, embarrassé : Herman Dupuis était derrière moi, trop visiblement ravi de mon air égaré. Il est vrai que mon attitude pouvait sembler grotesque. Mais leur situation n’était pas meilleure, j’en étais sûr : une veuve sans le sou qui s’entiche d’un maquereau, c’était pitoyable, n’est-ce pas ?

L’homme, si on peut l’appeler ainsi, me déplaisait ; Lisbeth, qui trompait mon père sans le savoir, me déplaisait ; la scène écœurante de ce couple nu me déplaisait ; j’étais moi-même à deux doigts de me déplaire. Il me fallait balayer tout ça au plus vite, d’un grand coup de pied.

Je m’approchai du joli cœur d’un pas ferme. A vrai dire, je n’avais jamais eu autant de force dans mes poings ; de plus, avec les gants, je ne ressentais aucune douleur. Le type est tombé sur le sol d’un seul coup ; moi-même, cela m’avait surpris.

« Bertand ! », a hurlé Lisbeth de sa voix aiguë, en tenant, serré contre elle, le drap de sa honte. Elle avait prononcé mon nom comme une mise en garde, et non pas celui de son amant. J’avais fait mouche, ces deux là ne se moqueraient plus de nous !

Blanche aurait été fière de moi, j’en étais sûr, et plus encore mon père. Elle, je venais de lui prouver que mon amour était sans concession, et lui, en quelque sorte, je le vengeais.



L’homme ne bougeait plus, étalé de tout son long sur la moquette, à moins qu’il fît semblant. Un dernier coup de pied entre ses côtes ne provoqua aucune réaction. J’espérais franchement qu’il ne fût pas seulement mou, mais mort. « Bertrand ! », a répété la rousse dans un cri de panique, bien prêt à appeler au secours tous les saints de la terre.

Moi, j’ai sauté sur le lit pour la faire taire et lui bâillonnai la bouche sous ma paume gantée. Elle s’est débattue, elle n’aurait pas dû car ça m’a excité davantage, allez savoir pourquoi ! Toujours fut-il que je gigotai sur elle, mon gant gauche planté sur ses lèvres, et le droit qui arrachait le drap tendu entre nous afin de mettre à jour son corps de rêve.

J’ai finalement mis son sexe en évidence, elle a raidi les muscles de ses cuisses pour se défendre tandis que quelque chose de bien vivant arrondissait la braguette de mon pantalon.



J’en zippai la tirette, ce qui n’était pas commode avec les gants, mais que ne perdrais-je comme temps à les enlever ! Et puis, ce n’est pas avec les mains qu’on fait la fête à une femme, n’est-ce pas ? Mon cocorico se détendit au dehors, rapide, net et précis. L’entrejambe, humide à souhait, accueillit ma hampe turgescente, tandis que, sous mon poids, elle battait en vain des quatre membres en ouvrant des yeux de grenouille. La dimension de ma virilité emplissait ses entrailles et je lui imposais déjà un pilonnage quasi chirurgical.

Je lui serrai le cou pour l’empêcher d’hurler.

Ses ruades se sont calmées peu à peu. Sa rousseur fade se mit à rosir lentement et sa langue, dardée hors des lèvres comme un clitoris indécent, bleuissait de seconde en seconde. Je la gratifiai enfin d’une giclée de vinasse qui, je l’espère, la foudroya jusqu’à la gorge.

Enfin, je desserrai mon étreinte. La marque de mes doigts sur sa gorge s’imprimait avec une telle précision que je crus bien y voir gravé, malgré le cuir de mes deux gants, le dessin de mes empreintes digitales.

Le gars sur son plancher restait sur le carreau et voilà à présent que j’aurais sur le dos un tas de viande inanimée sur le lit. 
Tout cela ne me ramènerait pas Blanche, que du contraire ! Je venais, m’affolais-je subitement, de gagner quelques années au trou, cela semblait certain.



En rajustant mon froc et ma veste, je m’attelai à trouver un scénario qui tînt la route. Un, je me trouvais sur les lieux du drame parce que je croyais fermement y trouver ma femme. Deux, j’ai surpris le sieur Dupuis en train de violer et d’assassiner la veuve. Trois, je n’ai fait ni une ni deux, je me suis jeté sur lui, et quatre, ce n’était pas ma faute si mon seul et unique coup lui avait été fatal : en résultat, c’est homicide bien involontaire, Monsieur l’Inspecteur.

Cela n’est pas très convaincant, je m’en doutais. Il y aurait toujours un Colombo pour me seriner d’une voix suave : « Encore un petit détail, Monsieur Caudron… Ne vous inquiétez pas, c’est juste afin de clôturer mon rapport pour mes supérieurs : ils sont tatillons comme vous ne pouvez pas imaginer !… Vous dites donc que la porte de l’appartement n’était pas fermée à clef, c’est bien cela, n’est-ce pas ? ». Et, à partir de là, je ne pourrais pas éliminer aussi facilement son odeur de cigare.



Il fallait que je n’eusse jamais mis les pieds en ville.

J’avais besoin d’un alibi inébranlable. Papa s’y prêterait volontiers, pour peu que je lui explique par le détail mon « accident », en forçant un peu la vérité bien entendu. Je n’allais tout de même pas lui raconter que j’avais de surcroît sauté Lisbeth, la veuve rousse envers qui il avait de fameuses visées depuis quelques temps !



Je craignais également que le gars du magasin de nuit puisse me décrire au cas, pas improbable, où l’Arabe serait interrogé par mon Colombo de service.

Il me fallait une cigarette pour réfléchir calmement à tout ça. Je tremblais comme au lendemain d’une cuite ou après un gros effort physique. Il y avait un peu des deux dans mon cas. Jamais je ne pourrai ouvrir ce satané paquet avec des gants, soliloquai-je en contemplant l’étendue de mon désastre. Il était hors de question de laisser trainer ici mes empreintes !

Enfin, j’en pinçai une du bout des lèvres et m’escrimai quelques secondes encore avec le briquet.

J’en avais à peine grillé la moitié que je m’enflammai sur une idée lumineuse comme une cendre incandescente.

Je n’étais pas peu fier de mon plan.

J’allais rentrer à la ferme sans plus attendre, Je déblatèrerais à mon paternel que j’étais en effet arrivé au beau milieu de l’incendie et que je n’avais donc pas pu les voir, ni Blanche ni le journaleux. Mon ton affolé ne serait d’ailleurs pas affecté car je me faisais un sang d’encre : primo, je m’étais trouvé sur les lieux du drame, et, secundo, n’avais-je pas un fameux mobile ? De fait, un jury n’aurait guère besoin de plaidoiries pour me condamner. Pleurer n’attendrirait pas mon père, ce n’était pas le genre de la maison. Mais que son propre fils se retrouvât en taule, procès et compagnie à tort ou à raison, cela, Papa ne le supporterait pas !

Il faudrait que son fils n’ait pas quitté la maison de toute la soirée. Je le connaissais assez pour savoir que, d’abord, il avalerait ma version comme une pinte de bière et qu’ensuite, il tiendrait à défendre l’honneur de notre nom. Papa me couvrirait d’un bel alibi pour clôturer à tout jamais cette sale affaire sous une chape de béton.

Du coup, j’étais remonté à bloc. J’en avais presque oublié la curieuse disparition de Blanche. Bah ! Peut-être la trouverais-je tout bonnement au bercail, avec une solide explication à la clé !

Il était passé une heure du matin quand je suis arrivé à l’entrée du village. Ce fut l’endroit précis où la voiture décida de me lâcher, brusquement, sans même une pétarade d’agonie ou autre chose pour me prévenir. Ça n’existe qu'au cinéma, ce genre d’histoire stupide !, ai-je ragé après quelques mètres en roue libre. Ni Papa ni moi n’y connaissions rien en mécanique et, connaissant le bonhomme, je me rassurai que Louis, le garagiste, ne poserait aucune question pour avoir trouvé la Renault à cet endroit là. Finalement, je n’avais plus qu’un kilomètre à faire à pieds pour rentrer chez nous.

La ferme était plongée dans le silence et la pénombre.

Papa était au lit, bien entendu. Pourquoi m’aurait-il attendu ?, alors que notre lendemain était une rude journée de marché, comme tous les jeudis du reste.

Le timbre de la voix de Blanche éclata de sous une porte à l’étage. Ne l’avais-je pas dit qu’elle serait enfin rentrée !, aussi me sentais-je bien gaillard en prenant l’escalier, prêt à lui tirer les vers du nez, à l’excuser et davantage si affinités.

Néanmoins, le côté bizarroïde de l’histoire, c’était le ton gémissant de ma femme : la voilà qui produisait des sons plutôt incohérents pour la circonstance. Que lui était-il donc arrivé de si grave pour qu’elle se lamente toute seule de la sorte ?

Arrivé sur le palier, il n’y avait plus de doute : rendez-vous compte : les gloussements provenaient de la chambre de mon père ! Là encore, je fus crédule : peut-être venait-elle de vivre une aventure si pénible qu’il avait eu à cœur de la consoler en mon absence.

Crédule ? Plus pour longtemps lorsque je pénétrai la pièce et me surpris dans un vaudeville navrant. Furieux ou décontenancé, je ne sais lequel de mes sentiments prévalait en cet instant.

Imaginez : ma femme était à califourchon sur les cuisses de Papa et l’œil de son cul nu tourneboulait autant que ses globes oculaires dans leur orbite ! Les jambes maigrelettes et velues de mon paternel se tendaient raide entre les siennes, il avait son gros pénis rougeâtre bien planté dans sa fleur et, de ses horribles griffes aux ongles terreux, il était en train de lui pétrir les pis comme un maquignon ravi d’avoir fait sa bonne affaire.

« Désolé, fils ! » dit-il avec un ton naturel crasse, « On n’a pas entendu le moteur de la voiture… », franchement !, comme si cela pouvait être une excuse valable…



J’ai compris sur le champ que ni l’un ni l’autre ne me procureraient un alibi.

Comme devant certaines séries télévisées, je saisissais même le déroulement de la combine, le retard prolongé de Blanche, les insinuations puis les incitations de Papa, voire même mon inexplicable panne de voiture.

Mais, à ce moment, les seules questions qui m’importaient encore étaient de savoir depuis quand durait leur manège et combien d’années de taule me coûteraient quatre cadavres au lieu de deux. D’un seul coup, je me découvrais l’âme d’un tueur en série. « Je ne sais plus ce qui m’a pris, Monsieur l’Inspecteur ! Je n’étais plus moi-même ! ».

Sûr que Papa repéra bien vite la lueur meurtrière dans mon regard, car je me retrouvai sur le champ face à la gueule noire d’un flingue que je ne lui connaissais pas. Où l’avait-il donc déniché, le vieux scélérat ?

« Fais pas le con ! », dit-il en cherchant sur le lit les doigts de sa pouliche.  « Je suis en état de légitime défense, fils ! » Sa voix était enrouée, ma femme était devenue muette et baissait sinistrement les yeux.



"Tu veux une cigarette, P'pa ?", me sembla être la seule répartie qui convenait en la circonstance. Ma main droite s'engouffrait à peine vers la poche intérieure de ma veste, que, sur le moment, je me suis dit que ça pouvait prêter à confusion. 

Je me demandais s’ils oseraient me tirer dessus. Mais à vrai dire, à franchement parler, je ne tenais pas vraiment à obtenir une réponse à ma question.

FIN

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