[via ...]
Les soirées mensuelles organisées par Simone se ressemblent toutes et cela n’a apparemment jamais lassé personne, d’autant plus qu’il est extrêmement rare d’y être invité plus d’une fois. La formule est simple : un nombre pair de cœurs solitaires - tous plus ou moins en quête d’âme sœur pour une nuit, pour une semaine où jusqu’au mois suivant -, un buffet froid, un bar bien achalandé, de la musique à discrétion, quelques joints qui tournent et deux chambres d’amis pour amants pressés. La place est chère, non pas parce qu’elle coûte d’emblée une centaine d’euros, mais bien plutôt parce que la sélection des invités est drastique, savamment dosée pour que la soirée puisse prendre comme une mayonnaise ou, mieux, comme un bon cocktail.
Au sein de son sacré carnet d’adresses, épais comme une bible, j’ai la chance d’être compté parmi les favoris de Simone ; ainsi suis-je considéré comme un invité récurrent, et, s’il m’arrive de ne pas trouver mon bonheur parmi l’assistance, elle est toujours ravie de me proposer son lit, en duo ou en trio si le cas se présente. A vrai dire, je n’en connais pas trop la raison, sinon qu’il paraît que je ressemble étrangement à son ex-mari. Je ne me pose d’ailleurs pas de question à ce propos parce que, d’un point de vue physique, d’une part Simone vaut à elle seule le déplacement - une blonde lunaire au visage cosmopolite (des yeux en amandes, un nez grec et une épaisse bouche afro), – et que d’autre part, plus trivialement, sa sexualité débridée est à la mesure de mes penchants.
Le mois précédent, le vendredi de je ne sais plus quelle date de début mars, j’avais ainsi eu l’occasion de rencontrer Clarice, un joli brin de femme d’une trentaine d’années qui travaille dans une chaîne bien connue de prêt-à-porter. Ce qui m’avait plu en elle était ce qui séduisait tout le monde : des yeux immenses, des lèvres sempiternellement entrouvertes et des cheveux brun foncé, filasses, en pagaille sur de ravissantes épaules dénudées. Elle avait de surcroît le chic de noyer ses prunelles dans les yeux de son interlocuteur comme si, de son seul regard, ce dernier lui procurait par avance un orgasme. De fait, Clarice faisait l’amour goulûment, sans pause, sans répit et sans sommeil et nous ne fûmes pas trop de deux, Simone et moi, pour assouvir enfin, à la pointe de l’aube, sa libido inextinguible. Prise, artificiellement et naturellement par tous les orifices, Clarice ne déclara forfait qu’après avoir joui une quinzaine de fois consécutives, ruant et hennissant comme une pouliche rétive. Achevée, la tête sur l’oreiller et le regard vide, elle nous laissa, Simone et moi, poursuivre nos ébats sans s’interposer. J’éjaculai mes dernières gouttes à fond de train. Simone me suivit dans le transport en me griffant les épaules, morsure au menton en prime. M’écrouler entre leurs corps tièdes et humides me fut un instant de totale béatitude, toutefois trop bref car, déjà, Clarice émergeait peu à peu de son éden.
Pour ce vendredi-là du mois d’avril, j’avais demandé à Simone d’inviter Freidon, un Irakien réfugié qui ne parlait pas le français, un peu esseulé dans son exil et en grand manque de femmes. Il m’avait fallu un peu négocier car elle n’appréciait guère qu’on interférât dans son choix.
Bref. Dès notre arrivée dans le grand salon déjà bien allumé, mon ami Freidon avait aussitôt jeté son dévolu sur une espèce de lolita allumeuse dont la culotte dépassait quasiment de la jupe. Pour ma part, j’étais fasciné par une grande blonde pulpeuse qui n’arrêtait pas de tourniquer autour du buffet dressé devant la fenêtre, grignotant sans cesse et vidant verre sur verre sans converser avec quiconque. Elle dépassait le mètre nonante et, bâtie à l’avenant, elle aurait eu à mon sens tout intérêt à s’asseoir de temps à autre afin de faciliter un tête-à-tête qui, sinon, provoquait le vertige ou, tout au moins, une certaine raideur dans la nuque plutôt qu’ailleurs. « Vous donnez l’impression de vous ennuyer… », osai-je enfin lui dire en tournoyant avec elle autour du buffet pour me servir finalement un Martini.
Elle m’avait regardé de haut, c’était le cas de le dire, puis, en enfournant un toast aux crevettes entre ses lèvres du même rose que sa robe, sembla déjà clôturer notre brève discussion. « Je n’aime pas les préliminaires… », fit-elle sèchement en me jaugeant de la tête aux pieds. L’examen parut néanmoins la satisfaire car elle s’arrêta un instant de mâchonner. « D’accord ! », répliquai-je ironiquement, « Nous le faisons ici ou vous préférez une chambre d‘ami ? ». Ce n’était qu’une boutade et, à vrai dire, je ne m’attendais pas à une réponse favorable de sa part.
Son « pourquoi pas ? » me mit dans tous mes états, non pas que je frétillais d’aise de coucher sur le champ avec elle mais parce que je m’imaginais mal sur son corps nu de géante, mon sexe perdu dans sa vulve comme une cuillère à thé dans un bol de soupe, et, en définitive, les ongles de mes orteils s’agitant sur ses chevilles et ma bouche n’arrivant à se positionner qu’à hauteur de ses clavicules.
« Ne nous précipitons pas ! », balbutiai-je en battant prudemment retraite, au risque de la vexer. Je n’arrivais même pas à envisager la prendre en levrette sans caler préalablement deux ou trois coussins pour surélever mes genoux. « Je sais me faire toute petite, vous savez… », insista-t-elle encore en éclusant son verre, sans doute pour appuyer du doigt ce qui semblait n’être, de son point de vue, qu’une vile goujaterie. Mais nous nous en remettrions, j’en étais sûr, elle de sa grandeur et moi de ma petitesse d’esprit.
A l’autre bout du long buffet, je retrouvai Clarice, ma belle goulue du mois dernier. Elle semblait ne pas se dépatouiller des griffes d’un quinquagénaire, bien mis, bien galant et bien conservé, mais dont la perversité se lisait sur ses lèvres pincées et les rides scrutatrices au-dessus de ses sourcils drus. Je la sauvai in extremis pour me sauver moi-même de ma Gullivère. « Clarice, ma chérie ! », m’écriai-je non sans lourdeur en m’interposant dans les quelques centimètres qui la séparait de l’encombrant quinqua, « … Te revoilà ! De toute évidence, Simone t’a à la bonne, toi aussi ! ». Notre intimité de privilégiés désempara le vieil aristocrate, suffisamment en tous cas pour que son regard se portât ailleurs, à une hauteur plus convenante pour un homme de son rang.
Clarice, quant à elle, m’embrassa avec reconnaissance et, le nez fourré dans ses cheveux qui sentaient bon la pêche, je constatai avec plaisir que la géante blonde ne s’intéressait déjà plus du tout à ma petite personne. Le problème avec Clarice, c’est que je risquais de me la coltiner durant tout le reste de la soirée, et - qui sait ? - jusqu’au petit matin si elle ne trouvait pas entretemps chaussure à son pied.
Je nous ai donc rabattus vers Freidon, assis sagement sur le bord d’un fauteuil, un verre sempiternel dans la main. Il avait les yeux humides et un désir insoutenable dans le regard. Car, sous ses deux couettes châtain clair, la lolita qu’il reluquait depuis son arrivée semblait à présent lui rendre de loin la pareille. Visage poupin, yeux béants et lèvres siliconées, genoux cagneux, jambes maigrichonnes et hanches droites lui donnaient dix-sept ans tout au plus, mais ses seins comme deux melons dans son chemisier blanc et son petit cul bien en chair sous sa jupinette à carreaux permettaient d’en douter. En me coulant dans le fauteuil contigu de mon ami Freidon, j’esquissai une grimace qui en disait long sur les baskets et les socquettes blanches de la donzelle. Clarice sembla prendre d’abord ma moue pour elle car elle avait tenu à me squatter les genoux, mais, rassurée par la direction de mon regard, fixa tranquillement la jeune fille, sans curiosité comme si elle la connaissait de longue date.
« C’est juste un look qu’elle se donne… », me ratifia-t-elle discrètement avec un soupçon de mépris dans la voix, « Mais Anissa a vingt-deux ans bien sonnés et, comme elle est très portée sur les vieux messieurs, … ». Elle ne termina pas sa phrase, visiblement embarrassée par le double-sens de ses propos. « Je ne parlais pas pour toi et ton ami… », rectifia-t-elle aussitôt. Personnellement, je n’étais pas attiré par ce genre de femme qui se travestit en gamine mais je savais que c’était le cas de Freidon. « Her forname is Anissa ! », lui traduisis-je tant bien que mal, « She’s twenty-two years old and just looks like a teenager… Clarice says Anissa loves old men !”.
« Sexy girl ! », murmura laconiquement Freidon, « I want to fuck her ! ». Je me tournai vers Clarice et, comme elle semblait ne pas comprendre, je lui en fis une interprétation très libre : « Freidon me demande si tu peux la lui présenter… », mais c’était inutile, d’une part car n’importe qui aurait deviné la pensée de l’Irakien et, d’autre part, parce le quinqua de tout à l’heure avait déjà mis la main sur la fausse adolescente, tout au moins sur son épaule et en tout bien, tout honneur.
A mon avis, vu les minauderies exagérées de la jeune femme, elle n’allait pas tarder à l’entraîner dans l’une des chambres. « Ne bouge pas ! Je reviens… », fit brusquement Clarice en sautant sur ses pieds. Je la regardai s’éloigner. Clarice est une très belle femme, une amante redoutable qui plus est, mais j’avais ce soir une forte envie de nouveauté. « What are you thinking about Clarice ? », dis-je à Freidon qui semblait avoir fait son deuil de la teenager et reluquait déjà une fausse blonde assise aux côtés d’un grand noir bâti en pointe comme une cathédrale. Connaissant Simone, qui avait le flair pour pairer les personnes avant même que celles-ci se rencontrent, je spéculai que le colosse allait tôt ou tard engager la conversation avec ma géante de tout à l’heure et qu’ils finiraient la soirée ensemble. Entretemps, j’étais en train de me demander à qui, à part elle-même ou Clarice, notre hôtesse m’avait-elle aujourd’hui destiné.
De toute évidence, Simone était déjà en pleine traque et la proie qu’elle acculait présentement à l’autre extrémité du salon se laissait plutôt volontiers prendre dans ses filets. Coincé entre deux murs et un rideau de hautes plantes vertes, il n’avait guère le choix, du reste. J’abandonnai Freidon à lui-même pour me servir un verre et faire le tour de l’assemblée, des fois que ma dulcinée du jour fût en train d’errer dans les couloirs en me cherchant. Entretemps, le géant noir semblait s’être lassé de sa fausse blonde car il se leva jusqu’au plafond en même temps que moi, mais à une hauteur nettement plus respectable. Ses larges mains baskettaient dans le vide de part et d’autre de sa montagne de muscles, si bien qu’on eut pu avoir l’impression que nous allions l’un vers l’autre pour se saluer, ou autre chose de moins rassurant, mais nous nous croisâmes respectueusement à mi chemin sans un mot. « Putain de musique ! », l’entendis-je tout de même proférer entre ses grandes dents brillantes, comme si j’y étais pour quelque chose dans le fait que Simone raffole de Lounge.
Libérée apparemment, la fausse blonde leva le menton dans ma direction et croisa haut les jambes. Avec son jeans flottant autour des cuisses, elle ne me livrait aucun spectacle intéressant. Ce ne devait pas être celle que j’attendais. J’eus cependant difficile d’éviter de plonger dans son regard lorsque je me rendis compte qu’elle se posait apparemment la même question que moi. « Bonsoir… », lui dis-je avec des ronds de jambe dans la voix, et « Voulez-vous qu’on fasse connaissance ? », en rajoutai-je afin de la persuader que j’étais nul et surtout de m’oublier. Je fus ravagé sur le champ par son sourire triste. « … I don’t speak French ! » , fit-elle comme si j’avais une bouée de sauvetage à lui proposer, « I’m coming from Bulgaria… ». « I said : do you want to drink something ? », répétai-je en me penchant sur le col déboutonné de son chemisier, bien plus évocateur que son pantalon. Son visage ne fut plus qu’un noeud lorsqu’elle me demanda timidement un whisky-coca. Cette fille avait des expressions touchantes mais, vu mon anglais basique, je n’allais certes pas la voler à quiconque, pour qui elle paraissait faite comme un moule. Aussi lui ai-je servi silencieusement son verre, suivi dans chacun de mes gestes par son regard troublant, pour la prendre ensuite avec autorité par la main, l’obliger à se lever et l’amener auprès de mon ami. Je la lui présentai. Elle nous dit s’appeler Solange. Je les laissai à leurs premiers échanges verbaux.
Et me voilà reparti en quête de l’âme sœur, me faufilant entre deux couples qui dansaient sans conviction sur une musique peu convaincante. Le premier était composé d’un barbu à la coupe design et d’une jolie asiatique en robe du soir, le second d’une beauté sculpturale au bustier réduit à la taille d’un mouchoir et d’un rouquin rougeoyant des pieds à la tête. Je ne sais s’ils allaient bien ensemble mais la vestale comme la chinoise n’étaient vraiment pas dans mes cordes, aussi m’en fichais-je éperdument. Par contre, Big Blackie et la grande bringue semblaient s’être enfin trouvés, à mon plus grand plaisir. J’espérais seulement que les sommiers de Simone soient prévus pour de grands formats ! Bref, je glissai au long d’eux comme une gondole sous le Pont des Soupirs et me retrouvai à portée de flèche de Simone et sa victime, tous deux agglutinés derrière les plantes vertes dans un baiser de la mort.
« Pardon ! », m’excusai-je à la pseudo-teenager qui, éclatée de rire sous les allusions débiles du vieux requinqué, ne se décidait pas à franchir l’entrée du salon pour gagner enfin l’une des chambres.
Il y avait un os s’il me fallait considérer à présent qu’il ne restait plus apparemment que Clarice pour faire mon bonheur. Tous les couples donnaient l’air d’être plutôt bien réunis, même ceux qui ne valent pas la peine d’être décrits ici. Je commençais à pester intérieurement contre notre hôtesse, plus prévenante d’ordinaire quant à mes désirs secrets. Et, d’ailleurs, où se trouvait-elle, Clarice, en ce moment ? me demandais-je en regardant d’un air médusé la chatte blanche de Simone qui filait entre mes pieds comme si j’avais montré certaines velléités lubriques à son égard. Anissa, l’adolescente attardée, considéra la scène avec un nouvel accès d’hilarité. Le quinqua fit la grimace, paniqué sans doute que sa proie, toute cuite sous la main, ne reportât soudain son attention sur moi. Ce n’était nullement réciproque de ma part mais j’avais une singulière envie d’inquiéter davantage le vieux cramique. J’approchai donc ma bouche de l’oreille de la bleuette, sa couette me frétillant sur les narines, et j’improvisai à voix basse une absurdité pour exciter son intérêt : « Je n’aime pas trop Bagatelle mais je craquerais volontiers pour une souris ! ». Elle me regarda de biais, bouche bée, les sourcils intrigués. « Bagatelle ! », insistai-je sur un ton persuasif, « Oui, Bagatelle est le nom de la chatte de Simone… ». Son partenaire tenta de revenir dans la danse en reprenant mes propos à son compte. « Ha ! Ha ! », dit-il, pitoyablement persuadé d’avoir un rire intelligent, « Il n’aime pas les minettes mais croqueraitune souris sans hésiter ! Ha ! Très bon ! Ha ». « Ha ! Ha ! », dis-je, rien que pour lui montrer que j’avais aussi du sang bleu dans les veines, « Vous êtes d’un fin fini, mon ami ! » continuai-je sans cesser de lui frotter la manche tandis que, tout en raillant, j’avais déjà glissé une paluche caressante sur les fesses de la jeune fille. Que risquais-je d’autre de sa part, au pire qu’une gifle ou au mieux qu’un brutal retrait dégoûté ? De surcroît, mon interlocuteur n’avait plus, ni l’âge, ni l’actualité, de m’imposer un duel.
Néanmoins, bien mal m’en avait pris, parce que j’avais réellement éveillé l’intérêt de la donzelle et, parallèlement, la haine du vieil imbécile. Il essaya bien de me fusiller du regard mais Anissa m’avait déjà pris par le bras pour m’entraîner dans le vestibule. « Laissons ce vieux rat à sa bouche d’égout ! », fit-elle avec un certain sens de l’improvisation verbale, « Et vous, vous appréciez donc les petits rats de l’opéra ? ». « Ra… rement ! », répliquai-je pour ne pas être en reste, « Disons que je serais ra…vi de faire une exception ! ». Mes paroles dépassaient certes ma pensée et elle sembla d’ailleurs ne pas les prendre pour argent comptant.
Pourtant, nous étions dans une situation très équivoque : derrière nous, le quinqua - tout droit, tout raide, suspendu et dans l’expectative - nous interdisait l’accès au salon et, devant nous, la porte de la chambre d’amis – close comme un appel muet – nous était particulièrement suggestive.
A vrai dire, la perspective de me retrouver de force avec Alicia, qui allait sans doute réapparaître d’un instant à l’autre, ne me réjouissait qu’à moitié, guère plus d’ailleurs que celle de faire l’amour avec cette lolita de pacotille. Des deux maux, il me fallait de toute évidence choisir le moindre, et illico presto. « Venez ! », lui soufflai-je en me dégageant de son bras pour la conduire d’une main dans le creux du dos, avec la ferme résolution de la sauter en vitesse pour m’en débarrasser tout aussitôt. De toute manière, l’un ou l’autre invité arriverait tôt ou tard nous interrompre dans notre élan.
La chambre baignait dans une douce lumière ocrée. Je refermai la porte sur le regard assassin de l’aristocrate qui, littéralement, fulminait. « Vous êtes un type ra…pide ! », ironisa-t-elle avant d’émettre un gloussement lorsque je la collai au mur, mes lèvres contre les siennes et, déjà, ma main à l’aventure entre ses cuisses osseuses. Le vieux con l’avait sans doute échaudée en suffisance car sa langue brûlante enveloppa la mienne sans attendre tandis que la chair de son sexe venait se lover dans le creux de ma paume. Je ne faisais pas dans la dentelle et, lui dévorant la bouche comme un fruit mûr, je déboutonnai son chemisier de mes doigts libres pour lui malaxer fébrilement sa frêle poitrine arrogante dont les pointes se redressaient néanmoins tels des bouchons.
Un claquement sec me parvint dans les oreilles, en provenance du salon, comme si quelqu’un avait renversé une lampe et que l’ampoule avait éclaté en mille morceaux. Des cris s’ensuivirent. Apparemment, quelqu’un avait été blessé. Mais je n’en avais cure en ce moment. Anissa m’excitait terriblement, sa chair totalement offerte à ma caresse. Je n’avais plus qu’à lui faire tomber la culotte sur les chevilles et dégainer mon outil de bronze hors de mon pantalon.
La porte s’ouvrit brutalement. La chauve-souris qui s’accrocha brutalement dans mes cheveux par derrière avait la taille d’une main d’homme et une force du même acabit. « Ne bougez pas ! », entendis-je dans mon oreille droite au-dessous de laquelle un tube froid et métallique se pressait dangereusement. « Et je ne veux pas entendre le moindre pet ! », poursuivit la voix qui était celle du vieil imbécile, plus très aristocratique au demeurant. Je levai automatiquement les mains vers le plafond. Les cinq cents watts du plafonnier me sautèrent en plein visage. Anissa, la bouche grand ouverte, était fin prête pour lancer un hurlement, bien malheureux pour l’occasion. Je me risquai à relever un bras pour lui empaumer le bas de son visage et l’empêcher d’émettre le moindre son. « Bien ! Très bien ! », me souffla le dingue dans ma nuque, sans me lâcher pour autant la tignasse et en appuyant davantage son flingue sous mes mâchoires qui se forçaient à trembler compulsivement.
Enfin, il abandonna mes cheveux pour me fouiller en hâte, de haut en bas, puis il me poussa fermement par l’épaule sur le côté. Je n’étais pas inquiet : cela faisait partie du scénario. Je relâchai lentement la pression de ma main sur les lèvres d’Anissa ; elle n’en menait pas large mais paraissait néanmoins convaincue de se taire. Entre les pans de son chemisier ouvert, ses seins nus semblaient s’être ramollis. Je me retournai. Il la toisa longuement avec un fin sourire narquois. Il avait l’air d’hésiter à vérifier si elle portait sur elle une arme ou non. De fait, qu’aurait-elle bien pu cacher sous son mouchoir de jupinette ou dans ses baskets ? Je lus un soupçon de regret dans son regard. Au sein de son rôle, il n’avait valablement aucun prétexte pour être mandaté à la tripoter. Du monocle de son arme, il nous a alors désigné le couloir d’un geste pressé. J’aidai la jeune femme à se reboutonner avant d’obtempérer et lui entourai ensuite le cou d’un bras protecteur. Après le sale coup que je lui faisais, je lui devais bien ça.
Dans le grand salon immobile comme un arrêt sur image, Freidon gisait sur le tapis, les membres curieusement plié dans le désordre et un revolver encore accroché aux doigts de sa main droite. De sa tempe trouée, avait jailli le contenu d’une pleine bouteille de vin. Mais ce n’était pas de la vinasse et il ne m’était guère difficile de faire le lien avec le bruit entendu tout à l’heure. Tous les autres étaient resserrés en tas sur sa droite, sauf le rouquin, plus rouge que jamais, qui les menaçait de son pistolet, bras nerveux et tendus devant lui. Je n’y connais rien en matière d’armes mais celle-ci inspirait plutôt la prudence, voire un certain respect. Le vieux fourbe et lui feraient un magnifique tandem dans un polar, me dis-je en serrant Anissa contre moi. « I’m sorry, Freidon ! », marmonnai-je encore en guise d’épitaphe. N’était-ce pas moi qui l’avait emmené dans ce traquenard ?
« Putain ! Quel cirque ! », fit Big Black Rasta, et ce ne devait pas être la première fois que ça sortait de ses grosses lèvres ballantes, tandis que la blonde grand format en profitait pour s’engluer dans ses bras. Ils allaient sûrement passer une sacrée nuit d’enfer pour tenter d’oublier l’événement. L’autre beauté, accrochée au barbu clean, frottait ses cuisses l’une contre l’autre et se dandinait comme si elle devait pisser de toute urgence. La chinetoque, de son côté, paraissait chier de trouille dans sa longue robe noire, mais cachait bien son jeu sous les traits figés de son visage de cuivre. Je regardai Simone, qui faisait rempart de son corps pour protéger son poulain. Celui-ci se tenait bien à carreau derrière elle et battait des cils comme une fillette effarouchée.
Elisabeth, la fausse blonde, pleurait en silence, le dos de la main couvrant sa bouche.
Le tableau puait de vérité et, sous ma paume suante, l’épaule d’Anissa qui frémissait d’effroi m’était la preuve tangible que tout cela n’était pas du cinéma. Je jetai un regard de biais en direction du vieux beau. Il ne semblait plus très bien maîtriser la situation, paraissait à présent hésiter sur la procédure à suivre. L’imbécile n’avait même pas repéré l’absence de Clarice. Où était-elle, du reste ? Il me regarda droit dans les yeux et y décela sans douta ma question muette car il lâcha un juron qui ne cadrait d’ailleurs pas avec son personnage et, faisant subitement volte-face, s’élança vers le couloir. Ce type était sacrément doué pour la télépathie.
Nous entendîmes hurler Clarice quand il la débusqua dans les toilettes. L’instant d’après, il réapparut dans l’encadrement de la porte du salon, tenant Clarice à pleins cheveux, puis la poussa rudement dans notre cercle funèbre. La terreur qui mangeait son visage la rendait particulièrement sexy. « Petite pute ! », grogna-t-il en agitant son feu et je trouvai qu’il en faisait un peu trop et qu’il massacrait de plus en plus son rôle dans cette sordide pièce de théâtre. Il fallait en finir sur le champ. Je me jetai sur le rouquin.
La balle m’atteignit dans un bruit assourdissant et je tombai sur le sol en m’abimant le bras droit. De ma poche à hauteur du cœur, une giclée de sang jaillit avec pourtant bien peu de réalisme. Des cris divers fusèrent de l’assemblée. Je n’avais pas trop mal, j’étais censé être mort mais il était temps que tout ce cirque se termine au plus vite.
Freidon gisait à mes côtés, lui aussi plus mort que nature. Nos regards filtrant entre nos paupières mi-closes se croisèrent et le battement de nos cils marqua la fin du dernier acte.
Je me relevai d’un bond, saluant l’assistance. Freidon fit de même, avec néanmoins un peu trop d’emphase comme le font souvent les débutants.
Simone, plus futée que la moyenne, comprit immédiatement la situation et me fusilla du regard. Cela me tua davantage que la balle à blanc de Patrick. Ce dernier rempocha son arme, aussitôt imité par Gédéon, dont le fin sourire était redevenu parfaitement aristocratique. Leur révérence parallèle fut d’ailleurs impeccable, irréprochable, parfaite en un mot.
Je me rengorgeai. Nous étions un quatuor merveilleux et la pièce que nous répétions depuis trois mois prenait décidément forme. En définitive, comme toujours, le plus difficile avait été d’infiltrer le carnet d’adresses de notre hôtesse, duquel par ailleurs celle-ci me raya à tout jamais.
Cela nous était égal. Il y avait assez de lecteurs (et surtout de lectrices) de par le monde pour leur faire part de notre art et autant d’autres soirées du genre pour y effectuer nos répétitions. Cerise sur le gâteau, l’un ou l’autre d’entre-nous y gagnait à chaque coup l’admiration de l’une ou l’autre de nos spectatrices d’occasion. En l’occurrence, Gédéon et moi ne nous disputerions pas cette fois les faveurs d’Anissa. En fait, il abhorrait plus que moi les teenagers sur le retour et, quant à moi, dans le rôle principal, je gagnerais certainement les faveurs de mon choix.
FIN
Commentaires
Enregistrer un commentaire